Ce petit crustacé marin habite sur les algues rouges Gracilaria gracilis. Les gamètes mâles libérés par les algues adhèrent aux idotées, qui les déposent sur les algues femelles, de la même manière que certains insectes pollinisent les plantes à fleurs. © Sebastien COLIN / Max Planck Institute For Biology / Station biologique de Roscoff / CNRS / SU
  • The Conversation

À la rencontre des pollinisateurs de la mer, ces invertébrés qui aident les algues à se reproduire

Pour la première fois, une étude a démontré le rôle d’un animal marin dans la fécondation des algues. Et cette relation pourrait être bien plus forte qu’on ne le pense.

La reproduction sexuée est un processus biologique fondamental dans l’évolution du vivant. Dans le milieu terrestre, la pollinisation est un parfait exemple de co-évolution développée entre les plantes et les animaux au cours du temps, permettant d’augmenter l’efficacité de la reproduction chez les plantes, tandis que les animaux bénéficient d’une source de nourriture.

Ainsi, les pollinisateurs, en aidant plus de 90 % des espèces de plantes à fleurs à se reproduire, occupent une place essentielle dans nos écosystèmes. Si beaucoup de scientifiques se sont intéressés à la vulnérabilité de ses interactions face aux changements globaux et à ses répercussions sur le maintien des écosystèmes, personne, ou presque, ne s’est intéressé à la place de ces relations animaux-végétaux dans le milieu marin.

Pourtant le milieu marin est soumis à une pression anthropique croissante, et est lui aussi victime d’une dynamique d’effondrement de la biodiversité, qu’il est difficile d’enrayer sans connaître la complexité des relations entre les organismes qui constituent cet écosystème.

Notre équipe s’est intéressée aux relations animaux-végétaux dans le cadre de la reproduction des algues, et nous avons montré dans une étude récemment publiée dans Science que des animaux facilitaient la rencontre des gamètes chez les algues.

La reproduction sexuée en mer

Dans le milieu marin, de nombreuses espèces animales et végétales relâchent leurs cellules reproductrices mâles et femelles (les gamètes) directement dans l’eau de mer. Ils sont, pour la plupart, guidés par des phéromones sexuelles et pourvus de flagelle, un filament leur permettant de nager la distance finale jusqu’à leur partenaire. Mais, pour parcourir la majeure partie de la distance, les gamètes sont dépendants des mouvements d’eau, longtemps considérés comme le principal vecteur entrant en jeu dans leur rencontre.

Petit invertébré sur une branche d’algue rouge
Une idotée agrippé à une algue rouge, dont elle transporte les gamètes. Wilfried Thomas/Station biologique de Roscoff/SU/CNRS, CC BY-NC-SA

Ce dogme a récemment été levé en 2016 chez la plante à fleurs Thalassia testudinum, qui constitue le premier cas connu de pollinisation en milieu marin. Nous avons cherché à savoir si les animaux jouent aussi un rôle dans la reproduction d’une autre espèce végétale emblématique de la mer : les algues ?

Des gamètes mâles sans flagelle

Cette question est particulièrement pertinente pour l’algue rouge Gracilaria gracilis dont les mâles libèrent dans l’eau de mer des gamètes dépourvus de flagelle, appelés « spermaties » tandis que les femelles gardent leurs gamètes qui ne sont pas relâchés dans l’environnement.

De même que le grain de pollen, la spermatie est totalement incapable de se déplacer seule et est dépendante des courants marins pour atteindre la femelle, sur laquelle se déroule la fécondation, comme chez les plantes. Comparé aux gamètes flagellés des algues brunes ou vertes par exemple, qui peuvent se déplacer d’eux-mêmes, nous pouvons penser que la probabilité qu’ont les spermaties d’atteindre la femelle est faible. Pourtant, la reproduction chez G. gracilis n’est pas rare comme on a pu le montrer dans des études précédentes sur une population suivie depuis plus de 20 ans, située au Cap Gris-Nez dans le Nord de la France, ce qui en fait un modèle de choix.

aquarium avec algues et invertébrés
Aquarium contenant algues rouges et idotées, pour tester le transport de gamètes par ces invertébrés. Christophe DESTOMBE/EBEA/Station biologique de Roscoff/SU/CNRS, CC BY-NC-SA

Une étude montre même que la majorité des fécondations dans cette population se fait à marée basse lorsque les individus sont immergés dans les flaques avec très peu de mouvements d’eau.

Sur le terrain, l’invertébré marin Idotea balthica – qui appartient au même ordre que les cloportes (Isopoda) – est souvent associé à l’algue rouge G. gracilis.

Cet animal, couramment appelé « idotée », se nourrit des « épiphytes » de G. gracilis, c’est-à-dire des petites algues parasites qui poussent sur l’algue rouge. Chez les plantes, c’est l’activité alimentaire des animaux – lorsqu’ils se nourrissent du pollen – qui seraient l’origine involontaire du processus de pollinisation. Notre équipe a donc exploré si l’idotée pouvait participer à la dispersion des spermaties lors de son activité alimentaire, comme l’abeille transporte le pollen.

Les invertébrés facilitent la fécondation chez l’algue rouge Gracilaria gracilis

Nous avons mis en place des expériences en laboratoire afin de démontrer que les idotées favorisent la dispersion et la rencontre des gamètes chez G. gracilis.

Nous avons placé des algues mâles et femelles dans des aquariums, soit en présence, soit en absence d’idotées. Lorsqu’une fécondation a lieu, une structure visible à l’œil nu, le « cystocarpe », se forme sur l’algue femelle. Ainsi à l’issue de l’expérience, le nombre de fécondations a pu être estimé en comptant les cystocarpes formés sur les algues femelles. Et le résultat est net : il y a vingt fois plus de fécondation lorsque les idotées sont présentes.

Mais à ce stade de l’expérience, rien ne permettait d’affirmer que l’idotée agissait comme un pollinisateur en transportant les gamètes mâles jusqu’aux femelles. En effet, les idotées pourraient participer simplement à la dispersion des spermaties par les mouvements d’eau créés lorsqu’elles nagent dans l’aquarium.

Dans une deuxième expérience, des algues femelles seules (sans algues mâles) ont été placées dans un aquarium en présence d’idotées préalablement « incubées » avec des algues mâles. Là encore, de multiples fécondations ont été observées, permettant d’affirmer que ces fécondations n’avaient pu être réalisées qu’avec des spermaties transportées par les idotées. Ces résultats ont été confirmés grâce à des images en microscopie montrant les spermaties accrochées sur le corps et les pattes de l’idotée.

pattes d’invertébré marin en violet avec des boules en vert
Accumulation de gamètes d’algue rouge Gracilaria gracilis sur une idotée vue en microscopie confocale. Sebastien COLIN/Max Planck Institute For Biology/Station biologique de Roscoff/CNRS/SU, CC BY-NC-SA

Des implications écologiques et évolutives

Cette étude démontre pour la première fois le rôle d’un animal dans la fécondation chez les algues rouges, et cette relation pourrait être bien plus forte qu’on ne le pense, puisque les deux partis tirent des bénéfices réciproques de leur association.

Les idotées bénéficient d’une source de nourriture en broutant les épiphytes en surface de l’algue. Ils pourraient également s’en servir d’abris contre les prédateurs grâce à leur pigmentation leur permettant de se dissimuler parfaitement dans l’algue. D’un autre côté, l’élimination des épiphytes par les isopodes permet une meilleure croissance de l’algue et notre présente étude montre que les idotées augmentent le succès reproducteur des algues.

Ce résultat montre que les associations entre végétaux et animaux sont bien plus complexes qu’on ne le pense dans le milieu marin, et questionne sur la spécificité de cette relation : d’autres algues rouges pourraient-elles bénéficier de ce système de dispersion des gamètes ? D’autres invertébrés y participent-ils ? Il est important de répondre à ces questions et de découvrir la place que ces associations occupent dans le fonctionnement des écosystèmes marins, surtout dans un contexte où l’anthropisation et les changements globaux qui en découlent menacent la dynamique de ces écosystèmes.

Ces résultats questionnent également sur l’histoire évolutive des relations entre les végétaux et les animaux. En effet, la pollinisation animale serait apparue il y a 140 millions d’années, avec les premières plantes à fleurs. Or, nos résultats montrent que des relations similaires existent en milieu marin. Les premières algues rouges se sont différenciées il y a environ 900 millions d’années et les premiers animaux pluricellulaires il y a environ 650 millions d’années, soit bien avant la différenciation des plantes à fleurs. L’apparition des associations entre plantes et animaux pourrait ainsi être bien plus ancienne que nous le pensons actuellement et avoir eu lieu bien avant la colonisation du milieu terrestre par les plantes.

Bien sûr, il est également possible que le rôle des animaux dans la fécondation des végétaux ait évolué plus récemment en parallèle dans les milieux terrestre et marin. Un des moyens d’aborder cette question est d’étudier la fréquence de la pollinisation par les animaux dans les différentes espèces d’algues rouges. Si elle est largement répandue, cela suggère que le rôle des animaux est probablement très ancien.


Emma Lavaut, Doctorante dans l'unité internationale "Evolutionary Biology and Ecology of Algae (EBEA)" de la Station biologique de Roscoff, Sorbonne Université et Antoine Faure, Doctorant en sciences de l'eau, Institut national de la recherche scientifique (INRS)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

Journées portes ouvertes 2023 de la Faculté des Lettres

Venez participer aux journées portes ouvertes de la Faculté des Lettres 2023 ! Elles offrent l'opportunité de découvrir les formations de la Faculté, ainsi que de rencontrer vos futurs enseignantes et enseignants et de pouvoir échanger avec les différents services et la communauté étudiante.  À destination de tous et de toutes, elles ne nécessitent pas d'inscription préalable.

JPO 2023

Candidater en première année de licence sur Parcoursup

Les candidatures en licence s'effectuent sur la plateforme nationale en ligne Parcoursup. Retrouvez le calendrier ainsi que nos fiches conseil pour vous accompagner lors des différentes étapes de la procédure.

Candidater en première année de master

Les candidatures en master s'effectuent à partir de cette année sur la plateforme nationale en ligne Mon Master. Retrouvez toutes les étapes à suivre pour effectuer vos recherches et candidater aux formations qui vous intéressent.

candidater première année de master


Cicéron

Par Charles Guérin

Un philosophe en politique

Louis XI et les villes en révolte (1461-1483)

Par Adrien Carbonnet

Graduate

25 000

Étudiantes et étudiants

193

Parcours de licence

192

Parcours de master

13

Sites et campus

Formations

Découvrez toute notre offre de formation

Médecine

La faculté de Médecine assure l’enseignement des 3 cycles d’études médicales : de la PASS (intégrée à la faculté) au 3e cycle incluant des DES, DESC, DU et DIU. Les enseignements sont dispensés principalement sur deux sites : Pitié-Salpêtrière et Saint-Antoine. La faculté dispense également des enseignements paramédicaux : l’orthophonie, la psychomotricité et l’orthoptie. Le site Saint-Antoine intègre une école de sage-femme.

Etudier à | la faculté de Médecine

La diversité des étudiants et de leurs parcours est l’une de nos richesses. Sorbonne Université s’engage pour la réussite de chacun de ses étudiants et leur propose une large offre de formations ainsi qu’un accompagnement adapté à leur profil et à leur projet.

La vie associative

La diversité des étudiants et de leurs parcours est l’une de nos richesses. Sorbonne Université s’engage pour la réussite de chacun de ses étudiants.

21 393

usagers

17 527

étudiants

715

hospitalo-universitaires

12

centres de recherche

Chiffres-clés


Découvrir les dernières parutions

Toutes les parutions

Dans les pas de Jonas

Par Serge Uzan

L’algorithme de Jonas

Sexe et violences

Par Danièle Tritsch, Jean Mariani

Comment le cerveau peut tout changer

Les extraordinaires pouvoirs du ventre

Par Harry Sokol

Un fabuleux voyage à la découverte des pouvoirs de notre microbiote.

Le Grand Livre des pratiques psychomotrices

Par Anne Vachez-Gatecel, Aude Valentin-Lefranc

La Psychomotricité

Par Françoise Giromini-Mercier, Suzanne Robert-Ouvray, Cécile Pavot-Lemoine, Anne Vachez-Gatecel

Apologie de la discrétion

Par Lionel Naccache

Comment faire partie du monde ?

Le Grand Livre des pratiques psychomotrices

Par Anne Vachez-Gatecel, Aude Valentin-Lefranc

Fondements, domaines d'application, formation et recherche

Je marche donc je pense

Par Roger-Pol Droit et Yves Agid

La recherche en temps d'épidémie

Par Patrice Debré

Du sida au Covid, histoire de l'ANRS

Neurosciences cognitives

Par / Sous la direction de Mehdi Khamassi

La médecin

Par Karine Lacombe, Fiamma Luzzati

Une infectiologue au temps du corona

Le Cinéma intérieur

Par Lionel Naccache

Projection privée au cœur de la conscience

Des formations riches et exigeantes

La faculté accompagne plus de 20 000 étudiantes et étudiants vers le monde professionnel grâce à une très large offre de formations adossées à la recherche, disciplinaires et interdisciplinaires, afin de répondre à tous les défis, scientifiques, technologiques et sociétaux.

Son cycle d’intégration pluridisciplinaire et son dispositif majeure-mineure en licence, ses 80 parcours de masters, ses formations internationales, ses cursus en apprentissage et son offre de formation continue permettent de proposer des parcours riches et exigeants, adaptés aux projets de chacun, nourris par les recherches de ses enseignantes-chercheuses, enseignants-chercheurs, chercheurs et chercheuses.

Recherche

Couvrant tous les champs de la connaissance en sciences et ingénierie, la Faculté des Sciences et Ingénierie soutient la recherche au cœur des disciplines, la recherche aux interfaces, le développement de partenariat avec les entreprises, et favorise l'émergence de nouvelles thématiques pour répondre aux grands enjeux  du XXIe siècle.

La vie à | la Faculté des Sciences et Ingénierie

Que ce soit sur le campus Pierre et Marie Curie, ou dans ses trois stations biologiques, à Banyuls, Roscoff et Villefranche, la Faculté des Sciences et Ingénierie constitue à la fois un lieu d'enseignement, de recherche et d'épanouissement intellectuel, où cours, conférences, colloques, congrès, expositions et autres manifestations scientifiques rythment la vie de ses étudiants et de ses personnels.

La vie associative à la faculté des Sciences et Ingénierie

Vie associative

Découvrez la vie associative de la Faculté des Sciences et Ingénierie.



Les mondes de Saturne

Par Sébastien Charnoz, Sandrine Vinatier, Sandrine Guerlet, Alice Le Gall

Les mystères de Saturne révélés !

Du Laboratoire Arago à l'Observatoire océanologique de Banyuls

Par / Sous la direction de Guy Jacques et de Yves Desdevises

Une épopée humaine et scientifique

Stem Cell Biology and Regenerative Medicine

Par Charles Durand & Pierre Charbord

River Publishers Series in Biotechnology and Medical Technology Forum