Le langage amoureux. Rencontre avec la linguiste Julie Neveux
Le langage amoureux. Rencontre avec la linguiste Julie Neveux
  • Recherche

Le langage amoureux. Rencontre avec la linguiste Julie Neveux

À l’occasion de la Saint-Valentin, la linguiste Julie Neveux décrypte et analyse le langage de l’amour du fameux « coup de foudre » jusqu’à l’injonction décisive « il faut qu’on parle ».

Vous avez publié, en 2022, Le Langage de l'amour. Pourquoi avoir choisi d’écrire sur un sujet aussi universel et insaisissable que l'amour ?

Julie Neveux : Les émotions et leur expression m'intéressent depuis toujours au plus haut point, et l'expressivité, c'est-à-dire la façon dont le langage manifeste ces émotions, est naturellement devenue mon objet de travail. L'amour, qui est constitué de tant d'émotions (tendresse, peur, nostalgie, etc.) est donc le meilleur sujet ! Or c'est sur le long cours que cette palette émotionnelle se décline, lorsque nos histoires d'amour s'inscrivent dans la durée.

J'aime réfléchir au langage qui est vraiment parlé par toutes et tous, dans la vraie vie, comment on s'adresse à l'être qu'on aime au début de l'amour, et à la fin, quand ce n'est plus pareil. J'aime pratiquer une linguistique du quotidien.

Comment avez-vous travaillé pour écrire ce livre ?

J. N. : Quand j'ai commencé à écrire, j'avais mes quatre grandes phrases du langage amoureux en tête, comme un cycle linguistique de l'amour. J'avais aussi des métaphores que je voulais traiter absolument, comme celles du soleil et de l'ombre, des expressions, comme « tomber » amoureux, des remarques, que je consignais depuis des années sur mes petits carnets, comme notre tendance à surinterpréter les signes au début de nos histoires, à transformer le hasard en destin, etc.

C'était théorique, trop. Et en écrivant, j'ai éprouvé le besoin de donner des exemples, de plus en plus incarnés, toujours avec le même couple, celui de Juliette et Roméo. Ces exemples ont fini par donner corps à une fiction qui aide, je l'espère, à comprendre les nuances de sens, qui ne sont jamais plus perceptibles qu'en contexte. Le premier "je t'aime" n'a rien à voir par exemple avec un "je t'aime" du quotidien du couple, qu'on lance le matin en partant au travail et encore moins avec un "je t'aime" désespéré qui veut dire "ne me quitte pas".

Enfin, surtout pour le plaisir, comme un hommage à notre culture collective, j'ai pioché dans les films, les chansons, les livres, pour que chacun et chacune puisse se dire « oh mais oui c'est dingue, je connais ! », puisse avoir un plaisir de reconnaissance, ou de découverte.

Pourquoi les émotions sont-elles si difficiles à exprimer ?

J. N. : Parce qu'elles sont une expérience intime et troublante. Une expérience complexe et unique à chacun et chacune, qui passe et se manifeste d'abord par le corps. Je rougis, je pleure, je sue, mon cœur bat plus fort. Mon expérience de l'amour n'est pas exactement votre expérience de l'amour. L'expressivité première est corporelle. Et le langage n'est pas immédiatement compatible avec une émotion forte. Les mots nous échappent, ils nous trahissent. Exprimer ses émotions, c'est toujours comme une ressaisie de soi, un éclairage nécessaire, surtout si on veut partager cette émotion.

Nommer les émotions, c’est aussi mieux les reconnaitre. Comment le langage agit-il sur elles ?

J. N. : Avant qu'on ne les nomme, les émotions ne sont pas catégorisées. Elles sont un vécu, qui peut être chaotique. Ce que je ressens, est-ce du regret ? De la nostalgie ? De la déception ? De la mélancolie ? De la peur ? De l'envie ? De la jalousie ? Le langage aide à comprendre notre vie émotionnelle, il l'organise. Et c'est seulement lorsqu'un sentiment est identifié par le lexique qu'il peut être adressé à l'autre, comme une proposition de partage, ou même seulement le début d'une conversation.

Dans votre livre, vous identifiez quatre phases de langage amoureux. Pouvez-vous nous les décrire en quelques mots ?

J. N. : L'amour-fantasme est le moment qui suit la rencontre, c'est le lancement du schéma narratif, de l'« histoire » d'amour, qu'on se raconte à soi, et aux autres. On y connaît à peine l'autre, donc notre imaginaire travaille, on rêve, on cristallise. Nos élans sont poétiques.

Le langage de l'amour-fusion consacre l'entrée dans la connaissance intime et physique de l'autre, dont on commence peut-être à dépendre. C'est la naissance du dialogue érotique minimal toi et moi, mais aussi du dialogue performatif des « je t'aime », qui fonde la métaphysique du couple. Notre capacité métaphorique bat son plein, entre soleil éblouissant et ombres qui rôdent.

L'amour-appropriation, qui est le quotidien de beaucoup de couples, remodèle le plus le langage, notamment dans notre façon de s'adresser à l'autre, qui devient notre « chéri.e », notre « doudou », notre chose, les noms officiels ou de rêverie font place à un langage commun, les élans poétiques aux conversations plus prosaïques.

Enfin, dans l'amour figé, le langage entre en crise, en boucle. Il sert désormais à accuser, caractériser et comparer (« tu es comme ci, comme ça »), il réduit les identités des partenaires qui s'épuisent à jouer toujours les mêmes rôles, s'échanger toujours les mêmes répliques, sur ce qui est devenu leur « scène » de ménage.
Mais ces quatre phases reflètent en fait surtout quatre façons de vivre son histoire d'amour par le langage ; elles peuvent très bien coexister.

Au début d’une relation, on a tendance à sur-interpréter les signes. Pourquoi a-t-on besoin de convoquer à ce point le destin ?  

J. N. : Mon hypothèse, c'est que l'amour étant un sentiment qui par essence nous décentre, nous déstabilise, nous surprend, comme le montre si bien Marivaux, nous avons besoin de reprendre le contrôle sur le cours de nos vies en (nous) racontant l'histoire d'amour. Le début, qui est en réalité le fait du hasard, de la contingence, est le moment de l'histoire qui se trouve lesté de la plus grande légitimité narrative. Il est rendu nécessaire. Il fonde la mythologie du couple. Et c'est ainsi qu'on retrouve le lexique du destin, de la finalité, dans les récits de nos rencontres : on était « faits » pour se rencontrer, c'était « écrit », etc.

Selon vous, les échanges à l’heure des nouvelles technologies augmenteraient la part de fantasme et d’illusion de connaissance de l’autre au début de la relation. Pourquoi ? Et comment l’éviter ?

J. N. : C'est la temporalité et la nature de nos échanges qui sont modifiées par ces nouveaux modes de communication. En quelques heures ou quelques jours de SMS excités, on a l'illusion de connaître intiment quelqu'un, qu'il s'est dévoilé, d'autant plus facilement que c'est par écrit. Or ce qu'on écrit n'est qu'une infime partie de soi ! C'est le soi ludique, sexy, une identité narrative qu'on choisit de « dévoiler » pour être désirable. On ne dit pas du tout la même chose à quelqu'un lorsqu'il se tient en face de nous, avec son corps, sa sensibilité, sa complexité, l'épaisseur silencieuse, brute, de son être. Une interaction par écrit offre une forme de communion, certes, mais qui ne prédit pas ce que sera une interaction dans la vie réelle.

Pour éviter d'être déçu ou d'aimer dans le vide, c'est facile, il suffit de se voir en vrai ! De se parler en vrai ! S'écrire beaucoup, se voir, se parler, s'écrire beaucoup ! Que la vie vienne nourrir le langage, qui vienne en retour nourrir la vie.

Ces communications SMS créent aussi un phénomène de dépendance, n'est-ce pas ?

J. N. : Oui, c'est un autre risque que présente notre hypercommunication, on peut se tromper de source : croire qu'on aime follement quelqu'un surtout parce qu'on échange sans arrêt, que le rythme des messages de cette personne a créé une addiction. Alors que c'est le medium (sa capacité à inscrire la haute fréquence de la communication dans la continuité de nos vies) qui est largement à l'origine de l'excitation amoureuse.

Comment les mots s’usent-ils et comment leur redonner du sens face au quotidien ?

Les mots s'usent, c'est le propre du langage. Surtout quand ils sont expressifs car l'expressivité requiert la rareté pour faire effet, d'où la valse des mots chez les plus jeunes pour dire que c'est juste « génial », « trop bien », « grave ouf », « trop stylé ». Mais il y a deux bonnes nouvelles : les fondamentaux de l'amour résistent à toutes les usures du temps. Les premiers « je t'aime » font toujours infiniment d'effet !

Et puis, en chacun et chacune de nous, il y a une encyclopédie intime et collective, un réservoir précieux de langage, qui ne demande qu'à être mobilisé pour faire des métaphores et des étincelles, « allumer le feu », créer de l'amour. Il suffit juste de rester ouvert à l'autre, à sa différence, à l'effet qu'il ou elle nous fait, et de prendre un peu le temps.



Parutions

Le langage de l'amour

Par Julie Neveux

Journées portes ouvertes 2023 de la Faculté des Lettres

Venez participer aux journées portes ouvertes de la Faculté des Lettres 2023 ! Elles offrent l'opportunité de découvrir les formations de la Faculté, ainsi que de rencontrer vos futurs enseignantes et enseignants et de pouvoir échanger avec les différents services et la communauté étudiante.  À destination de tous et de toutes, elles ne nécessitent pas d'inscription préalable.

JPO 2023

Candidater en première année de licence sur Parcoursup

Les candidatures en licence s'effectuent sur la plateforme nationale en ligne Parcoursup. Retrouvez le calendrier ainsi que nos fiches conseil pour vous accompagner lors des différentes étapes de la procédure.

Candidater en première année de master

Les candidatures en master s'effectuent à partir de cette année sur la plateforme nationale en ligne Mon Master. Retrouvez toutes les étapes à suivre pour effectuer vos recherches et candidater aux formations qui vous intéressent.

candidater première année de master


Cicéron

Par Charles Guérin

Un philosophe en politique

Louis XI et les villes en révolte (1461-1483)

Par Adrien Carbonnet

Graduate

25 000

Étudiantes et étudiants

193

Parcours de licence

192

Parcours de master

13

Sites et campus

Formations

Découvrez toute notre offre de formation

Médecine

La faculté de Médecine assure l’enseignement des 3 cycles d’études médicales : de la PASS (intégrée à la faculté) au 3e cycle incluant des DES, DESC, DU et DIU. Les enseignements sont dispensés principalement sur deux sites : Pitié-Salpêtrière et Saint-Antoine. La faculté dispense également des enseignements paramédicaux : l’orthophonie, la psychomotricité et l’orthoptie. Le site Saint-Antoine intègre une école de sage-femme.

Etudier à | la faculté de Médecine

La diversité des étudiants et de leurs parcours est l’une de nos richesses. Sorbonne Université s’engage pour la réussite de chacun de ses étudiants et leur propose une large offre de formations ainsi qu’un accompagnement adapté à leur profil et à leur projet.

La vie associative

La diversité des étudiants et de leurs parcours est l’une de nos richesses. Sorbonne Université s’engage pour la réussite de chacun de ses étudiants.

21 393

usagers

17 527

étudiants

715

hospitalo-universitaires

12

centres de recherche

Chiffres-clés


Découvrir les dernières parutions

Toutes les parutions

Dans les pas de Jonas

Par Serge Uzan

L’algorithme de Jonas

Sexe et violences

Par Danièle Tritsch, Jean Mariani

Comment le cerveau peut tout changer

Les extraordinaires pouvoirs du ventre

Par Harry Sokol

Un fabuleux voyage à la découverte des pouvoirs de notre microbiote.

Le Grand Livre des pratiques psychomotrices

Par Anne Vachez-Gatecel, Aude Valentin-Lefranc

La Psychomotricité

Par Françoise Giromini-Mercier, Suzanne Robert-Ouvray, Cécile Pavot-Lemoine, Anne Vachez-Gatecel

Apologie de la discrétion

Par Lionel Naccache

Comment faire partie du monde ?

Le Grand Livre des pratiques psychomotrices

Par Anne Vachez-Gatecel, Aude Valentin-Lefranc

Fondements, domaines d'application, formation et recherche

Je marche donc je pense

Par Roger-Pol Droit et Yves Agid

La recherche en temps d'épidémie

Par Patrice Debré

Du sida au Covid, histoire de l'ANRS

Neurosciences cognitives

Par / Sous la direction de Mehdi Khamassi

La médecin

Par Karine Lacombe, Fiamma Luzzati

Une infectiologue au temps du corona

Le Cinéma intérieur

Par Lionel Naccache

Projection privée au cœur de la conscience

Des formations riches et exigeantes

La faculté accompagne plus de 20 000 étudiantes et étudiants vers le monde professionnel grâce à une très large offre de formations adossées à la recherche, disciplinaires et interdisciplinaires, afin de répondre à tous les défis, scientifiques, technologiques et sociétaux.

Son cycle d’intégration pluridisciplinaire et son dispositif majeure-mineure en licence, ses 80 parcours de masters, ses formations internationales, ses cursus en apprentissage et son offre de formation continue permettent de proposer des parcours riches et exigeants, adaptés aux projets de chacun, nourris par les recherches de ses enseignantes-chercheuses, enseignants-chercheurs, chercheurs et chercheuses.

Recherche

Couvrant tous les champs de la connaissance en sciences et ingénierie, la Faculté des Sciences et Ingénierie soutient la recherche au cœur des disciplines, la recherche aux interfaces, le développement de partenariat avec les entreprises, et favorise l'émergence de nouvelles thématiques pour répondre aux grands enjeux  du XXIe siècle.

La vie à | la Faculté des Sciences et Ingénierie

Que ce soit sur le campus Pierre et Marie Curie, ou dans ses trois stations biologiques, à Banyuls, Roscoff et Villefranche, la Faculté des Sciences et Ingénierie constitue à la fois un lieu d'enseignement, de recherche et d'épanouissement intellectuel, où cours, conférences, colloques, congrès, expositions et autres manifestations scientifiques rythment la vie de ses étudiants et de ses personnels.

La vie associative à la faculté des Sciences et Ingénierie

Vie associative

Découvrez la vie associative de la Faculté des Sciences et Ingénierie.



Les mondes de Saturne

Par Sébastien Charnoz, Sandrine Vinatier, Sandrine Guerlet, Alice Le Gall

Les mystères de Saturne révélés !

Du Laboratoire Arago à l'Observatoire océanologique de Banyuls

Par / Sous la direction de Guy Jacques et de Yves Desdevises

Une épopée humaine et scientifique

Stem Cell Biology and Regenerative Medicine

Par Charles Durand & Pierre Charbord

River Publishers Series in Biotechnology and Medical Technology Forum