Ruines pré-inca Tiwanaku TCF
  • The Conversation

Malgré leur classement à l’Unesco, des ruines pré-incas en péril de destruction

François Cuynet, Sorbonne Université

L’actualité politique de la Bolivie de ces derniers mois – avec l’élection contestée du président Evo Morales Ayma à un nouveau mandat puis sa démission quelques semaines plus tard face à la montée des protestations – nous rappelle à quel point l’identité des populations andines actuelles est forte.

Cette dernière trouve ses racines dans un passé lointain dont les vestiges archéologiques sont encore les témoins de la grandeur des civilisations s’étant développées dans cet espace de la cordillère des Andes. Au cœur du bassin du lac Titicaca, à près de 4 000 m d’altitude, les ruines du site de Tiwanaku incarnent à elles seules toute la majesté de l’antique pouvoir qui s’est étendu jusque sur la côte Pacifique, traçant de la sorte les limites du futur empire inca.

Entre le VIe et le XIIe siècle de notre ère, l’influence de cette civilisation préhispanique se diffusera telle une traînée de poudre sur l’ensemble du territoire andin, et marquera durablement ses contemporains pour les générations à venir.

Un site connu et reconnu

À la différence de l’image généralement diffusée par les médias (évoquant de mystérieuses sociétés disparues et ensevelies à l’aube des temps…), le site de Tiwanaku a toujours été connu et reconnu par les populations établies dans la région. La présence d’édifices monumentaux et de vestiges colossaux directement observables à la surface du sol a permis de garder en mémoire l’importance historique des lieux, dont témoignaient déjà les chroniqueurs espagnols du XVIe et du XVIIe siècle (Pedro de Cieza de Leon, Cristobal de Molina, Bernabé Cobo.

Les Incas voyaient notamment dans l’image que renvoyaient ces ruines l’espace où le dieu créateur Viracocha s’établit afin de donner naissance à l’humanité ainsi qu’aux différents groupes qui la composent. Par la suite, les premiers chroniqueurs espagnols du XVIe siècle de même que les grands explorateurs du XIXe siècle qui parcoururent le territoire de l’Altiplano consignèrent tous dans leurs écrits la majesté de ces anciennes ruines. Les travaux d’archéologues pionniers vont permettre à la France de se positionner comme une nation phare dans le développement de cette jeune discipline américaniste. Citons par exemple les travaux d’Alcide d’Orbigny (Voyage dans l’Amérique Méridionale, 1839-1843) ; ceux de Léonce Angrand, (Lettre sur les antiquités de Tiaguanaco et l’origine présumable de la plus ancienne civilisation du Haut-Pérou en 1866), ou encore de Georges de Créqui Montfort et Eugène Sénéchal de la Grange (Rapport sur une mission scientifique en Amérique du Sud, en 1904).

Par la suite, d’autres occuperont la place laissée vacante. La première moitié du XXe siècle fut l’occasion de grandes fouilles intensives des principaux monuments de Tiwanaku, puis d’importantes restaurations ont été conduites entre 1957 et 1964 sur les structures emblématiques du site préhispanique que sont la plate-forme du Kalasasaya et la cour excavée qui lui fait face.

Enfin, c’est à la fin de l’an 2000 que l’Unesco inscrivit pour la première fois le centre cérémoniel de Tiwanaku sur la prestigieuse liste du Patrimoine de l’Humanité, le dotant par la même occasion d’une structure administrative de gestion des ruines ayant pour principe fondamental que « toute action [entreprise] doit être orientée afin de préserver, développer, protéger et diffuser le site archéologique et son patrimoine ».

Des restaurations idéalisées

De ce fait, le site archéologique de Tiwanaku dispose à la fois d’une protection nationale et internationale. Une telle situation peut sembler idéale afin de protéger le patrimoine archéologique que recèle ce lieu. Pourtant, au regard des actions passées et présentes, rien n’est moins sûr… En effet, les entreprises réalisées au cours des décennies passées se sont parfois permis quelques petits arrangements avec la réalité des faits archéologiques qui, pour certains, eurent pour conséquence de dénaturer profondément la nature même des vestiges. Les cas litigieux sont malheureusement légion et les exemples pourraient être démultipliés.

Le premier cas qui nous intéresse ici est le Monolithe Bennett.

Le Monolithe Bennett. Musée Lithique de Tiwanaku, MAPT 2018/CIAAAT/MEAE, Author provided

Découverte couchée lors des travaux entrepris par l’archéologue Wendell Bennett en 1932 au sein de l’ancienne cour excavée de Tiwanaku, cette magnifique pièce de la statuaire Tiahuanaco fut réalisée en un seul bloc de grès dépassant les sept mètres de hauteur, ce qui en fait la plus grande sculpture préhispanique découverte à ce jour en Amérique du Sud. Par la suite, le monolithe fut déplacé du site de Tiwanaku jusqu’à la proche capitale de La Paz pour y être exposé en plein cœur du centre-ville. Ce déracinement eut des conséquences néfastes sur la préservation de la sculpture. En effet, durant des décennies, la roche fut irrémédiablement endommagée par les gaz d’échappement et les pluies acides causées par le développement du parc automobile, entraînant dans certains cas la disparition partielle des délicats motifs incisés à sa surface.

Détails de l’usure sur la face du Monolithe Bennett. Musée Lithique de Tiwanaku, MAPT 2018/CIAAAT/MEAE, Author provided

Ce n’est qu’en mars 2002 – à la suite du classement du site à l’Unesco et avec la création d’un nouveau musée – que le Monolithe Bennett réintégra en grande pompe son lieu d’origine.

Une aventure quelque peu similaire se produisit pour l’autre symbole de la sculpture Tiahuanaco, le Monolithe Ponce. Exhumée lors des travaux de restauration de la grande structure du Kalasasaya, cette sculpture fut rapidement érigée au sommet de l’édifice. Toutefois, la stricte réalité archéologique a été légèrement altérée afin d’exacerber une vision monumentale et spectaculaire du patrimoine.

Détérioration de la coiffe du personnage. Musée Lithique de Tiwanaku, MAPT 2018/CIAAAT/MEAE, Author provided

Lors de son érection, le monolithe fut déplacé de plusieurs mètres afin de le positionner parfaitement dans l’axe du grand escalier central. Ainsi, le monolithe Ponce regarde en direction du soleil levant et nous offre une vision hautement solennelle (et touristique) de l’édifice reconstruit.

Les vestiges sur place n’ont pas été restaurés dans le sens strict du terme, mais bien rebâtis au gré de l’imagination et des fantaisies de M. Carlos Ponce Sanginés. Si les piliers de la plate-forme du Kalasasaya se sont toujours fièrement dressés à la surface, le reste de l’élévation des murs avait depuis longtemps disparu (le site ayant servi durant des siècles de carrière de pierres). Face à cette situation, les témoignages des plus vieux ouvriers ayant travaillé aux restaurations nous apprennent que de nouveaux murs de contention furent édifiés en récupérant sur les édifices alentour la matière première nécessaire… Le maître d’œuvre alla jusqu’à créer une entrée dont ni l’aspect ni le tracé ne relèvent d’une quelconque réalité archéologique

L’entrée du Kalasasaya lors de son dégagement en 1903. gallica.bnf.fr, Author provided
L’entrée du Kalasasaya restaurée. François Cuynet (MAPT 2018/CIAAAT/MEAE), Author provided

Un même constat d’incertitude peut être fait concernant l’ancienne cour excavée de Tiwanaku. Dès le premier coup d’œil, le visiteur peut s’apercevoir que parmi la multitude des pierres d’appareillage et des sculptures parfaitement intégrées aux murs de la structure, certains visages se distinguent par leur forme et leur apparence plus grossière. Et pour cause, puisqu’en réalité ces derniers n’étaient pas à l’origine présents à cet emplacement, mais furent retrouvés gisant sur le sol de la cour (très probablement déposés en offrande à cet endroit au moment du scellement de l’espace rituel).

Un patrimoine en danger

Malgré ces arrangements, les ruines sont devenues ces dernières décennies le théâtre d’une très forte revendication identitaire et politique des populations andines de la région cherchant à se rattacher toujours plus de « l’authenticité » de l’Âge d’Or Tiahuanaco.

Cette optique s’est trouvée d’autant plus renforcée avec l’élection en 2006 du président Evo Morales Ayma. Il est intéressant de voir comment – dès les premiers temps de son mandat – le président nouvellement élu utilise à son profit le décor des vestiges monumentaux du site de Tiwanaku pour revendiquer son appartenance et sa filiation au patrimoine autochtone.

Dans une tentative de reconstitution cérémonielle antique, il s’habille à la « mode Tiahuanaco » afin de se positionner explicitement comme l’héritier de ce passé dont il souhaite incarner la renaissance. Sous le patronage bienveillant du monolithe Ponce, il va jusqu’à reprendre la pose du Dieu aux Bâtons dans l’embrasure de la nouvelle entrée. Le poids des images et des actes est lourd de symbolique, donnant de la sorte toute la légitimité à la nouvelle autorité. Les ruines de Tiwanaku ne sont plus de simples vestiges patrimoniaux, mais se trouvent réactualisées par le processus cérémoniel voyant l’intronisation d’un nouveau pouvoir andin. Mais paradoxalement, alors que le discours prône un néo-andinisme assumé, cette démarche se teinte d’un prisme déformant typiquement occidental : les armes tenues par la divinité se trouvent alors converties dans leur usage contemporain en sceptres de pouvoir, à la manière des rois trônant face à la cour dans l’ancienne Europe féodale…

Têtes-tenons de la Cour Excavée de Tiwanaku. François Cuynet (MAPT 2013/CIAAAT/MEAE), Author provided

Nous serions alors en droit de penser que cette attention patrimoniale et politique portée au site de Tiwanaku le protège de toute forme de dégradation volontaire. Malheureusement, l’expérience sur place démontre quotidiennement que c’est loin d’être le cas ! La pyramide Akapana par exemple témoigne d’un état de délabrement avancé, lié aux fortes pluies qui peuvent s’abattre durant la saison humide dans cette région d’altitude, ainsi qu’au tourisme de masse. De plus, les résultats de la Mission Archéologique Pucara-Tiahuanaco (lancée depuis 2013 sous l’égide du Ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères) associés aux relevés effectués par l’Unesco grâce à un survol en drone de la zone archéologique tendent à démontrer que les éléments visibles en surface ne sont que la partie émergée d’un immense iceberg dont le potentiel s’étend largement sous le village actuel de Tiwanaku et bien au-delà.

Voie d’accès au sommet de la pyramide Akapana. François Cuynet (MAPT 2018/CIAAAT/MEAE), Author provided

Malgré ces connaissances académiques, le péril plane toujours sur la sauvegarde de la zone archéologique. Trop souvent des travaux d’urbanisme sont effectués sans aucun contrôle ni concertation avec les archéologues responsables de la protection du patrimoine. Les zones périphériques du site et celles proches de la place centrale du village de Tiwanaku ne sont gère plus épargnées par ces dégradations. Nombre de maisons du village intègrent dans leur structure des blocs d’appareillage appartenant à des vestiges archéologiques sous-jacents. Loin d’être en pointe dans le domaine de la prévention patrimoniale, la municipalité de Tiwanaku accuse un retard dramatique dont les ruines paient le prix fort…

Restes humains issus de l’une des nombreuses sépultures détruites par le passage des machines de terrassement. François Cuynet (MAPT 2018/MEAE), Author provided

Mais dans le même temps, il serait hypocrite de tomber des nues face à cette situation car il s’agit là d’un secret de polichinelle dont tous les acteurs – les institutions et les archéologues en premier lieu – sont parfaitement conscients depuis des décennies. Ce cri d’alarme pose le constat clair et sans complaisance d’une nécessaire évolution des mentalités et des pratiques en faveur d’un objectif commun qui permettrait une meilleure protection du site archéologique de Tiwanaku.

Remploi de blocs provenant de structures antiques au sein de l’habitat de l’actuel village de Tiwanaku. François Cuynet (MAPT 2018/MEAE), Author provided

Paradoxalement, bien que maltraité, ce sanctuaire est devenu le décor d’une action politique et d’un discours utilisant les ruines dans une perpétuelle recherche de légitimité, quitte à en dénaturer parfois l’aspect et le sens. Gageons que les démarches plus récentes engagées sous l’égide de l’Unesco et par la volonté d’archéologues professionnels conduiront à une amélioration significative des conditions de préservation du site. Puisque le passé et le présent sont en ce lieu intrinsèquement entremêlés, plutôt que de les confronter agissons afin qu’à la manière antique les vivants et les morts s’épaulent mutuellement dans un rapport de reconnaissance et de respect.The Conversation

François Cuynet, Enseignant-chercheur en archéologie, Sorbonne Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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