L'origine du Covid est toujours débattue. Anton27/Shutterstock
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Origine du Covid : l’histoire mouvementée d’un article scientifique majeur

Il y a trois ans, la revue Nature Medicine publiait en pleine pandémie Proximal Origin of SARS-CoV-2 sur les origines du Covid, concluant que le SARS-CoV-2 n’était pas une construction de laboratoire. Le début de nombreux fantasmes et spéculations.

Peu d’articles scientifiques ont autant été le sujet de fantasmes et spéculations que Proximal Origin of SARS-CoV-2, publié il y a trois ans dans Nature Medicine.

Quelques jours avant sa parution, le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la Santé avait annoncé l’état de pandémie, alors que de nombreux pays subissaient leur première vague d’infections et entraient en confinement.

Cosigné par Kristian G. Andersen, Andrew Rambaut, W. Ian Lipkin, Edward C. Holmes et Robert F. Garry, cinq experts des émergences virales, l’article Proximal Origin of SARS-CoV-2 présentait les résultats d’investigations sur ce que pourrait être l’origine récente de SARS-CoV-2, le virus causant le Covid-19.

Énoncée dès les premiers paragraphes du texte, la conclusion des auteurs est claire : leurs analyses « montrent clairement que SARS-CoV-2 n’est pas une construction de laboratoire ou un virus délibérément manipulé ». La notoriété des auteurs, la réputation du journal, et le caractère apparemment sans appel de la conclusion font alors de cet article une référence de choix pour contrer les spéculations sur une origine artificielle du virus.

La révélation des premiers doutes

Début juin 2021, plus de 3200 pages d’e-mails d’Anthony Fauci, le conseiller scientifique à la Maison Blanche, sont rendus publiques. Plusieurs journalistes ont pu obtenir ces e-mails grâce à la loi américaine d’accès aux documents administratifs (FOIA).

Ces e-mails étaient largement caviardés par le NIH, l’agence biomédicale américaine et entre les rectangles gris de la censure, parmi les dernières pages du volumineux fichier, on découvre que le 31 janvier 2020, Kristian Andersen annonçait à Anthony Fauci que lui-même, Robert (« Bob ») Garry et Edward (« Eddie ») Holmes trouvaient le « génome de SARS-CoV-2 incompatible avec la théorie de l’évolution » – autrement dit, possiblement d’origine artificielle. Mais, ajoutait-il cependant, « d’autres analyses restent à mener, et ces opinions pourraient changer ».

Les e-mails révèlent aussi que ces scientifiques se sont entretenus le lendemain, 1er février 2020, lors d’une téléconférence au sommet. Parmi les autres participants : Andrew Rambaut, des virologistes européens, mais aussi Jeremy Farrar, alors à la tête du Wellcome Trust, une fondation britannique finançant des recherches biomédicales.

La parution des e-mails fait se tendre brutalement le climat sur les réseaux sociaux. Violemment attaqué, Kristian Andersen supprime des tweets puis ferme son compte Twitter, et tente de s’expliquer dans les médias. La révélation via ce que l’on appelle désormais les « e-mails de Fauci » de discussions entre scientifiques sur une possible origine artificielle de SARS-CoV-2 donne l’impression que les événements étaient destinés à rester secrets, et ont été révélés seulement grâce à la loi d’accès aux documents administratifs.

La réalité était pourtant tout autre. Kristian Andersen avait par exemple déjà évoqué publiquement ses suspicions initiales sur l’origine du virus.

Tweet de Kristian Andersen, 2 avril 2021 (avant la publication des « e-mails de Fauci »).

Mais surtout, le 22 juillet 2021 paraissent sous le titre de Spike les mémoires de Jeremy Farrar, coécrits avec la journaliste Anjana Ahuja. Les trois premiers chapitres sont consacrés aux questionnements de plusieurs chercheurs sur l’origine du virus, ainsi qu’à la préparation, au déroulé et aux suites de la désormais fameuse réunion du 1er février 2020.

Finis de rédiger au printemps 2021, ces chapitres témoignent de la volonté des chercheurs de révéler publiquement leurs suspicions initiales. Mais la chronologie est malheureuse. Les « e-mails de Fauci », publiés seulement sept semaines avant la parution de Spike, ont déjà imprimé dans l’opinion publique l’idée de concertations secrètes dévoilées par hasard.

Les théories du complot se repaissent du secret, et les nombreux caviardages des « e-mails de Fauci » fournissent un terrain propice. Le revirement de certains des auteurs de Proximal Origin of SARS-CoV-2 intrigue : comment ont-ils pu si vite changer d’avis, et publier un article affirmant ne pas avoir trouvé de preuve d’une origine artificielle de SARS-CoV-2 quelques semaines seulement avoir eux-mêmes suspecté que le virus puisse être une construction humaine ?

Kristian Andersen a beau expliquer que ses collègues et lui ont suivi une démarche scientifique, que Proximal Origin of SARS-CoV-2 détaille – nous y reviendrons – certains ne sont pas convaincus.

L’agence biomédicale américaine, le NIH, a en effet indirectement financé des recherches à l’Institut de Virologie de Wuhan, par le biais de l’ONG EcoHealth Alliance. On se dit que, soucieux de préserver les intérêts de l’agence pour laquelle il travaille, Anthony Fauci lui-même aurait pu chercher à étouffer une origine de laboratoire. Il aurait pour cela intimé aux chercheurs qui se posaient des questions d’écrire un article pour tuer dans l’œuf toute discussion dans l’espace public.

L’accusation est grave pour Anthony Fauci mais aussi pour les auteurs de l’article, qui auraient manqué d’intégrité scientifique en écrivant et promouvant un article auquel ils n’auraient pas cru.

L’histoire ne repose pourtant que sur des spéculations sur la teneur du texte caché sous les rectangles gris des censeurs. De plus, l’argument intrigue : pourquoi Anthony Fauci aurait-il forcé des chercheurs qui suspectaient une origine de laboratoire à écrire un article allant contre leur conviction, et non pas avoir demandé simplement à d’autres scientifiques ?

Par ailleurs, pourquoi les chercheurs auraient-ils accepté cette mascarade ? Ils ne travaillent en plus pas tous aux États-Unis, et ne sont donc pas tous dépendants du NIH. En outre, parmi eux, Andrew Rambaut n’a jamais cru à une origine artificielle ; Anthony Fauci n’avait pas besoin de le faire changer d’avis.

Tout ceci n’a pas vraiment de sens, et pour une raison simple : l’histoire était fausse.

Le scénario complotiste réfuté

Fin novembre 2022, les versions décaviardées des e-mails sont enfin publiées grâce à l’opiniâtreté de Jimmy Tobias, un journaliste indépendant. Dans ces documents, on lit que plutôt que d’étouffer la discussion, Anthony Fauci l’avait encouragée. Il avait demandé que soient consultés d’autres experts, et annoncé alerter des collègues au sein du gouvernement des États-Unis.

Un e-mail d’Anthony Fauci source de nombreuses spéculations, en version caviardée (à gauche) puis en version originale (à droite).

On lit aussi qu’au sein du groupe de chercheurs ayant participé à la téléconférence du 1er février 2020, les avis différaient sur l’opportunité de publier un article pour rendre compte de leurs analyses. Certains reprochaient même aux futurs auteurs de Proximal Origin of SARS-CoV-2 de risquer d’alimenter avec leur article des théories du complot sur l’origine du virus.

Par ailleurs, conformément aux déclarations des auteurs, on ne trouve aucune trace d’intervention directe d’Anthony Fauci sur le contenu du document qui deviendra Proximal Origin of SARS-CoV-2.

Si ce n’est sous la pression d’Anthony Fauci, qu’est-ce qui a alors fait changer d’avis ceux des auteurs de Proximal Origin of SARS-CoV-2 qui avaient initialement cru à une origine artificielle du virus ? Pour le comprendre, il faut revenir aux raisons initiales de leurs doutes.

Rien de plus que la science « en train de se faire »

Après la publication du génome de SARS-CoV-2, ainsi que de celui de son plus proche cousin connu à l’époque, RaTG13 (un coronavirus de chauve-souris), deux caractéristiques de SARS-CoV-2 avaient initialement fait suspecter à Kristian Andersen et ses collègues une origine artificielle du virus.

La première était son domaine de liaison aux récepteurs des cellules de son hôte (Receptor Binding Domain, RBD), différent de celui de SARS-CoV, le virus qui avait causé l’épidémie de SRAS en 2002-2004.

Mais un coronavirus infectant des pangolins a un RBD très proche de celui de SARS-CoV-2 (le reste du génome est plus distant, ce qui a été source de confusion). Ainsi, le RBD qui paraissait de prime abord bizarre et donc suspicieux existait en fait naturellement.

Le deuxième point qui avait attiré l’attention des chercheurs était le « site de clivage par la furine » (furin cleavage site, FCS). La protéine Spike du virus, initialement d’un seul tenant, doit être coupée (“clivée”) pour permettre l’entrée du virus dans les cellules de son hôte. Le FCS permet que cette coupure soit réalisée par la furine.

SARS-CoV-2 est le seul coronavirus de type SRAS connu à ce jour à posséder un tel site. Sa présence peut laisser penser à une manipulation en laboratoire.

Cependant, de nombreux autres coronavirus ont un FCS. Un tel site a évolué naturellement plusieurs fois déjà.

De plus, aucun virus connu à ce jour n’aurait pu servir de support à une telle insertion et donner lieu à la création de SARS-CoV-2 en laboratoire. RaTG13 est bien trop distant de SARS-CoV-2 pour en être un progéniteur, et l’Institut de Virologie de Wuhan a indiqué que RaTG13 était le virus le plus proche de SARS-CoV-2 en sa possession. Pour que l’hypothèse d’une insertion artificielle de FCS tienne, il faut supposer que les chercheurs de Wuhan nous mentent et cachent des virus.

Les lecteurs et lectrices sont libres de juger par eux-mêmes de la pertinence de ces arguments, avancés dans Proximal Origin of SARS-CoV-2. Car contrairement à la présentation qui en a été faite par la suite par les complotistes, Proximal Origin of SARS-CoV-2 n’a pas eu le pouvoir de censurer toute discussion de l’origine du virus. Il s’agit juste d’un article scientifique, qui présentait ce que ses auteurs pensaient de l’origine de SARS-CoV-2, à l’époque de sa publication. Ni plus, ni moins.


Florence Débarre, Directrice de recherche CNRS, chercheuse en biologie évolutive, Sorbonne Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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